Beni : De la violence à la résilience, le rétablissement de la cohabitation pacifique à Sayo

A group of adults and children attending a community dialogue session.
Une séance de dialogue communautaire conduite par une animatrice du projet Tujenge de l’USAID, à Mbutaba/Beni.
14 Août 2023

Au Nord-Kivu, à cause des conflits qui ont duré des décennies, les populations sont souvent obligées de fuir leurs villages, abandonnent leurs champs et autres biens de valeur.

Sayo, un quartier périurbain, quasi-fantôme de la commune de Mulekera en ville de Beni, abrite 17 097 habitants. Deux communautés se partagent la vie dans cette entité verte de végétations et pleine de potentialités agricoles depuis la nuit de temps.

Connu pour son caractère nomade, le peuple autochtone pygmée d’un côté, doit composer avec ses activités de chasse et de cueillette dans les vastes forêts  situées à proximité du Parc national des Virunga, sur le plateau du mont Rwenzori, des fois, au prix de déplacements sur des longues distances et pour une longue durée : « Avant, nous étions là en haut, à cause des difficultés nous avions dû quitter pour nous rendre à un autre endroit, nous sommes retournés en 2020, et maintenant ça fait trois ans que nous sommes réinstallés ici» explique M. Sangamusa Baiso Alexis, un jeune homme pygmée établi avec sa famille au camp de Manjuwa dans le quartier Sayo.

Quant à eux, rattachés à la terre par les activités agricoles, les Bantous vivant dans cette zone ont pour longtemps subi les effets de violences armées caractérisées par les massacres de civils, les pillages, les déplacements et l'abandon de terres.

La descente aux enfers

Selon les analyses conduites par le programme Partenariat pour le Développement de l’Est du Congo de l’USAID (P-DEC), ou Tujenge, les dynamiques des conflits dans cette zone s'inscrivent principalement autour de plusieurs facteurs : les ressources naturelles, l’usage du pouvoir, l'égoïsme et l'identité sont à la base de  plusieurs tensions dans les communautés et ont des conséquences graves sur la vie humaine et la cohésion sociale.

A Sayo, le conflit identitaire a provoqué des tensions multiformes : « Certains chefs coutumiers cherchaient à s’opposer à notre retour, voulant qu’on rentre là où nous étions partis, or on sait que personne ne peut être contraint de quitter chez lui  », se rappelle Alexis.

A deux heures du camp de Manjuwa, se trouve une localité dans laquelle vit une famille pygmée composée d’une vingtaine de personnes. C’est le quartier Matembo au village Mbutaba. Ici, les pygmées ont récemment inhumé un des leurs, victime d’une fusillade en Août 2022. Une situation qui a envenimé et endurci les tensions dans la zone : « les pygmées étaient hyper-courroucés jusqu’à démolir et brûler le bureau de la police [qui se trouvait dans la région] », dit le père de cette famille pygmée M. Yoshuwa Kihovo Michel.

Pendant plusieurs mois, une animosité sans précédent a dominé les relations entre les bantous et les pygmées causant des conséquences néfastes sur la vie des populations : « lorsque nous prenions un verre ensemble et que cela troublait nos têtes, il suffisait un moindre déplacement de langage pour déclencher les bagarres » raconte Alexis, ajoutant : « Pendant le conflit, les pygmées ne pouvaient plus traverser de l’autre côté [du village] ni les bantous passer par ici ».

Cette crise a empiré le défi d’accès aux ressources, déjà critique dans la zone, ce qui dégrade davantage les conditions de vie des femmes et des enfants dans la région.

Two adults outside their home.
Devant la porte de leur maison, Alexis revient du village voisin, où vivent les membres de la communauté Bantou avec qui les échanges ont repris grâce à leur participation au processus du dialogue communautaire.

A 40 ans, Domitila MAYENGA Florence a déjà accouché 12 fois, malheureusement, 2 de ses enfants ont succombé aux maladies d’origines hydriques « j’avais tenté de les amener à l’hôpital, en vain ! L’un est mort à l'âge d’un an et l’autre à 5 ans », regrette Domitila, qui, en plus de ses enfants, doit nourrir  6 hommes, frères de son mari  contraints de rester à la maison à cause du conflit dans le village : « je fais de travaux ménagers et à la fin on me paie autour de 3000 FC ! J’achète du sel avec 500 FC, le savon de 500, la farine de manioc à 1000F, j’achète un petit poisson avec 500FC et de l’huile de 500FC », détaille-t-elle. A peu près $1.00 USD, ce revenu modique procure une vie de misère à Domitila avec ses enfants, « je suis incapable de m’acheter les chaussures et les vêtements.  Le peu que j'obtiens, je l'affecte à la nourriture. Même mes enfants n’ont ni habits, ni chaussures » insinue Domitila avec un ton désespéré.

A person washing their hands before starting food preparation.
Après ses activités champêtres, Domitila doit se laver les mains avant de commencer à préparer la nourriture pour ses enfants. C’est l’un des conseils qui lui ont été prodigués par les infirmiers pour éviter les maladies diarrhéiques dans sa famille.

Catalyser les changements positifs

En janvier 2023, dans le cadre du programme Tujenge, une série de consultations ont été menées dans la commune de Mulekera « pour chercher à bien creuser ce conflit identitaire », indique Mme Kyakimwa Aimée, Animatrice de l’ONG Solidarité Féminine pour la Paix et le Développement Intégral (SOFEPADI), un partenaire du programme, qui a facilité des mini dialogues dans les deux communautés.

Au cours de ces échanges tenus à différents niveaux, des cahiers de charges et des engagements ont été pris par les deux parties. Muhindo Meleck, président de la jeunesse du quartier Sayo a pris activement part aux dialogues : « Nous les Bantous, nous nous sommes engagés à nouer des relations positives avec nos concitoyens pygmées, par exemple : pratiquer du sport ensemble et collaborer dans les activités champêtres ». Alexis, quant à lui, représentait la jeunesse pygmée dans les assises « Notre engagement était de mieux nous entendre avec nos frères Bantou pour restaurer l’unité, qui, depuis longtemps caractérisait nos parents ».

En plus des consultations et dialogues, le programme Tujenge accompagne les membres des communautés dans l’organisation des activités de cohésion sociale pour maintenir la cohabitation pacifique. Ce qui favorise des améliorations significatives dans cette partie de Beni. Alexis et sa femme Mwatatu se montrent épanouis par suite des relations qui se sont rétablies au niveau local : « nous nous saluons, nous nous rendons visite. Ils [bantous] viennent ici, on boit de l’eau ensemble, ils rentrent, nous aussi nous allons prier [à l’église] de l’autre côté, nous cohabitons parfaitement », se réjouit Mwatatu pendant que son mari salue le retour de ses libertés qui étaient entravées par le conflit « actuellement je fais des mouvements ci et là sans problème. Ma famille aussi se promène là-bas sans souci », dit-il, esquissant du sourire.

A group of people smiling and looking pleased.
En plein suivi des recommandation du plan d’action élaboré lors des dialogues communautaires, Kyakimwa est impressionnée par les nouvelles attitudes des personnes qui autre fois étaient courroucées à l’égard de la communauté voisine.

Ce changement constitue une véritable source de fierté pour Madame Kyakimwa :

« Je suis très contente de rencontrer les communautés unies, ils font des jeux ensemble, ils font des activités sociales ensemble, interchangent des biens. Je suis ravie par ces actions qui sont le fruit de mon accompagnement en tant qu’actrice de paix », lâche-t-elle avec enthousiasme.

Tujenge travaille étroitement avec les communautés à travers un processus participatif de mobilisation, de paix et de dialogue afin de contribuer au renforcement de la cohésion sociale entre les communautés en conflit et à une plus grande stabilité pour la transformation des conflits dans la ville et territoire de Beni au Nord-kivu et territoire de Mambasa en Ituri.

M Emmanuel Sebujangwe, Conseiller Senior en Consolidation de paix et Sensibilité aux Conflits au sein du programme Tujenge se montre flatté par la participation des communautés dans ces initiatives : « L’adhésion déjà au processus de paix c’est un changement. Le fait que quelqu’un qui était dans un coin qui se disait je suis perdu, un autre qui dit, je vais utiliser les armes… et qui acceptent de venir contribuer à ce processus de dialogue c’est déjà un grand pas » rassure- t-il.

Entre octobre 2022 et mars 2023, plus de 4 451 personnes ont participé au processus de dialogue communautaire sur les conflits, à l’élaboration et à la mis en œuvre des plans d’actions qui contribuent a la résolution de 19 conflits communautaires liés à l’identité et la cohabitation pacifique. En plus des initiatives de paix, Tujenge mène des actions qui soutiennent la bonne gouvernance et la croissance économique afin d’attaquer les causes de pauvreté et de misère qu'expérimentent plusieurs femmes comme Domitila.

Rendu possible grâce au soutien du peuple américain à travers l’agence des Etats-Unis pour le développement international, USAID, Tujenge est un programme quinquennal mis en oeuvre dans la ville et le territoire de Beni au Nord-kivu et le territoire de Mambasa en Ituri, par Mercy Corps en consortium avec 10 autres organisations dont celles de la société civile de Beni et de Mambasa.

Par Ferdinand Mugisho