Quand les écogardes regagnent la confiance des populations autochthones

A group of people having a discussion while looking at a map.
Pour engager les communautés avec les directives d’accès aux ressources dans la Réserve de Faune à Okapis (RFO), pendant les séances de sensibilisation l'équipe du programme Tujenge utilise des cartes pour amener les habitants à identifier d’eux-mêmes les zones où la chasse/pêche et l’agriculture sont autorisées dans la RFO.
05 Mars 2024 • Mise à jour 05 Avril 2024

La réserve de faune à okapis (RFO) est une institution d’ancrage qui abrite des espèces menacées de primates et d'oiseaux et environ 5000 okapis vivant à l'état sauvage. La réserve possède également des sites panoramiques exceptionnels, dont des chutes sur la rivière Epulu en Ituri. Inscrite depuis 1996 sur la liste du patrimoine mondial de l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), la RFO est habitée par des populations autochtone, ce qui en fait « une aire protégée unique en son genre ». Tujenge adopte une approche participative pour atténuer les menaces liées à la destruction de ce patrimoine mondial.

« Il y avait une certaine méfiance de la population locale à l’égard des écogardes et de tous les agents de la RFO car elle croyait que leurs intérêts n’étaient pas pris en compte », se rappelle Faustin Kambale, Conservateur Assistant à la RFO.

D'une superficie de 13 726 km, la réserve a établi son quartier général (QG) à Epulu dans le territoire de Mambasa, pour assurer la conservation de sa biodiversité. L’ambiance au QG de la réserve est dominée par des stridulations des insectes, les piaillements de singes mélangés aux clapotis de la rivière et le bruissement des feuilles d’arbres, mais ce magnifique site est privé de son zoo, cette mini-réserve d’Okapis qui vivaient en captivité attirant les visiteurs avant d’être vandalisés, il y a une décennie, par des acteurs d’un groupe armé non étatique.

Aujourd’hui, les menaces sont toujours là : « Les braconniers qui veulent accéder aux ressources de manière illégale utilisent des armes et se transforment en Groupes armés … ils se livrent à l’exploitation illégale du bois, la commercialisation de la viande de brousse, … » déplore Confiance Mfuka, Adjoint Chargé des programmes et responsable du suivi et de l’évaluation au sein de l’ONG Wildlife Conservation Society (WCS) partenaire au programme Tujenge, qui coordonne la mise en œuvre des programmes d’appui à la RFO. Confiance ajoute que cela s’inscrit dans « une dynamique complexe des conflits, qu’il faut aborder de manière globale ».

The rivière epulu, one of the main tributaries of the ituri province in the democratic republic of congo.
La Rivière Epulu est un des affluents principaux de la province de l'Ituri en République démocratique du Congo. Elle traverse la réserve de faune à okapi et en constitue une des ressources.

Bâtir les bases d’une paix durable

Les conflits armés et autres situations de violences qui déchirent l’est de la RDC depuis trois décennies, ont eu des conséquences sur la vie des populations y compris le déni d’accès aux ressources, la mauvaise Gouvernance, les rapports de forces et la manipulation identitaire, freins à la conservation de la biodiversité, plaçant la RFO sur la liste des sites protégés qui sont en danger.  « L’une des menaces à laquelle fait face cette réserve est le flux démographique qui a beaucoup de causes », indique Confiance.

Le Partenariat pour le Développement de l’est du Congo de l’USAID, Tujenge, a conduit en 2022 l’identification et la catégorisation des conflits existants entre les communautés qui vivent dans et autour de la RFO et les gestionnaires de ce site. Pour Confiance Mfuka, les conflits sont légion parmi lesquels « le non-respect des limites mises en place par la directive d’accès aux ressources naturelles à la RFO [DARN] - dont l’exploitation semi industrielle des minerais et la chasse illégale ».

En plus de l’identification et la catégorisation des conflits, Tujenge a développé plusieurs initiatives qui visent la création d’un cadre permanent de dialogue entre les communautés locales et la réserve, ainsi que la gestion participative de cette biodiversité.

Le Conservateur Assistant, Faustin Kambale est l’un des écogardes de la RFO qui se sont jusque-là appropriés les approches visant la cohabitation pacifique avec les habitants de la RFO, il a pris part à diverses formations y relatives offertes par le programme « Nous avons appris les notions de paix, de conflits, de violences, nous sommes allés plus loin dans la sensibilité aux conflits… Nous avons abordé plusieurs principes qui nous aident à améliorer notre façon de faire » explique -t-il.

En charge de la conservation communautaire, Faustin joue le rôle de pont entre la communauté et les gestionnaires de la RFO. Il doit au programme Tujenge son accès facile aux communautés, qui, affirme-t-il « ont compris qu’elles avaient une part de responsabilité dans les conflits qui les opposent à la RFO, grâce aux rencontres organisées par le programme ». Aujourd’hui Faustin réunit plus aisément ces habitants pour échanger sur les problèmes de la conservation ainsi que les questions liées au développement local.

Hunters walk together to hand over their hunting equipment to the village chief.
La période de fermeture de la chasse à la RFO a commencé en août 2023 pour une période de 4 mois. Mangapi conduit les chasseurs remettre les matériels de chasse chez le chef du village afin de limiter les possibilités de déroger à la règle.

Mangapi Alfani est père d’une famille nombreuse du peuple autochtone campée sur une petite colline à 30 minutes du QG de la RFO à Epulu.

Entrainé par la tradition, Mangapi est lié à la brousse, et depuis son enfance il a participé aux patrouilles organisées par son clan « pour protéger le feuillage ».  Il est témoin des initiatives qui suivirent le classement de la vaste forêt de l’Ituri au patrimoine mondial, avec lequel il a pu vivre les meilleurs tout comme les pires : « J’étais jeune lorsque la captivité a eu lieu, nous [peuple autochtone] avons creusé des trous pour attraper les okapis » se souvient Mangapi, ajoutant « par la suite j’ai été engagé à la RFO, pour nourrir les okapis parce que je connais les feuilles qu’ils aiment manger », atteste-t-il,  bien que cela n’ait été que pour un temps « j’ai perdu ce travail lorsque les okapis ont été massacrés », regrette Mangapi.  

Par manque de choix, Mangapi doit s’associer à ses frères pour pratiquer la chasse au sein de la RFO.

Grâce au programme Tujenge, Mangapi est devenu un des meilleurs collaborateurs de Faustin, pour sensibiliser les chasseurs sur le respect des directives en la matière « les principes appris ont commencé à être appliqués » dit Faustin Kambale, avant de détailler : « Le mois passé nous avons commencé la période de fermeture, et la communauté est venue pour voir ce qu’on peut faire ensemble afin d’amener les chasseurs à respecter ces mesures ». Mangapi peut désormais vulgariser les lignes rouges à observer pour pratiquer la chasse à la RFO « l’Okapi, l’éléphant, le chimpanzé, le sanglier … sont strictement protégés » révèle-t-il. Il se dit dédié avec ses frères à la sécurisation de la réserve « si nous voyons des ennemis, des braconniers et autres malfrats dans des zones, nous partons immédiatement les dénoncer auprès des écogardes » rassure Mangapi.

A mercy corps team member exchanging information with a member of the tujenge program team .
Avant de se rendre sur le terrain, Faustin Kambale échange des informations avec un membre de l’équipe du programme Tujenge sur les avancées perçues dans la mobilisation des communautés autour de la cohabitation pacifique dans la RFO.

Intégrer la biodiversité dans le plan de développement local :

La loi congolaise sur la décentralisation prévoit la participation des populations locales aux processus démocratique et de prise de décisions, à travers les entités territoriales décentralisées (ETD) dites des institutions infranationales.

Pour assurer la mobilisation de la communauté autour de la protection de la biodiversité, le programme Tujenge a assuré la redynamisation des structures locales de gouvernance et de développement autour des aires protégées du parc national des Virunga et la réserve de faune à okapis dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.

La chefferie de Bandaka, une des sept ETD appuyées par le programme Tujenge abrite une grande partie de la RFO. A Niania, siège de cette entité, le plan de développement local a été récemment validé par les communautés. Madame Yvone Bakwisi,  vice-présidente du comité local de développement (CLOD) de Niania se montre particulièrement engagée à mobiliser les communautés qui vivent autour de la RFO pour protéger celle-ci « dans notre plan, nous avons prévu des actions adaptées à tous les secteurs. Nous sommes activées à sensibiliser les habitants sur la pertinence de conserver la RFO » dit-t-elle, se montrant déterminée « la grande action entreprise c’est de décourager l’agriculture et la chasse dans les zones interdites, l'abattage des arbres et l’exploitation des minerais au sein de la RFO » martèle Yvonne.

Entre février et octobre 2023, au total plus de 20 écogardes ont été formés sur la sensibilité aux conflits, plus de 40 structures locales de gouvernance et de développement ont été dynamisées et formées et plus de 11 plans d’actions issus des dialogues participatifs sur les conflits ont été mis en oeuvre  dans et autour des aires protégées.

En plus des actions de résolution de conflits et de gouvernance dans et autour de la RFO et du parc des Virunga, le programme Tujenge, appuie la promotion de la culture sous-ombrage du cacao dans les zones tampons, la traçabilité des minerais dans les sites légaux et offre des alternatives aux jeunes afin de réduire leur vulnérabilité aux pratiques d'activités illégales dans la Réserve .

A propos du programme Tujenge

Rendu possible grâce au soutien du peuple américain à travers l’agence des Etats-Unis pour le développement international, USAID, Tujenge est un programme quinquennal mis en œuvre dans la ville et le territoire de Beni au Nord-kivu et le territoire de Mambasa en Ituri, par un consortium de 10 organisations à savoir Mercy corps comme chef de file,  International Alert, Wildlife Conservation Society, Alliance for Responsible Mining, International Peace Information Service, HIVE, Justice Plus, SOFEPADI, CORACON et Pole Institute, ainsi que des organisations de la société civile de Beni et de Mambasa.